Islam contre islam.


Valeurs d'avenir. Dominique Folscheid est philosophe. Son dernier ouvrage paru s’intitule “Fin de vie : penser les enjeux, soigner les personnes” (avec Brice de Malherbe, éditions Parole et Silence).

Mal nommer les choses, disait Camus, c’est ajouter encore du désordre au monde. Impossible de ne pas se rappeler cette phrase après avoir entendu notre président affirmer que les assassinats en série commis au nom de l’islam du 7 au 9 janvier n’avaient « rien à voir avec la religion musulmane », alors qu’ils ont tout à y voir.
Qu’il soit nécessaire d’exempter d’emblée les honnêtes musulmans vivant dans notre pays de toute suspicion est parfaitement justifié. À leur manière, ils sont aussi des victimes collatérales de ces horreurs. Mais ce n’est pas une raison pour se laisser contaminer par le virus de l’anti-amalgamite aiguë, de se boucher les yeux et les oreilles pour mieux cultiver ce déni qui nous a fait tant de mal.
Car nous n’avons pas affaire à des fous et à des voyous « sans foi ni loi », comme l’a un peu légèrement déclaré Alain Juppé, mais à des djihadistes convaincus, armés d’une foi et d’une loi et pas seulement de kalachnikovs. Or, que font les djihadistes ? Le djihad, c’est-à-dire la guerre. Le djihad “extérieur” s’entend, par opposition au djihad “intérieur”, qui concerne les efforts que déploie le croyant sur le chemin de Dieu. Les djihadistes nous font donc la guerre, avec d’autant plus de conviction que la France est en guerre contre eux. La France a fait la guerre aux talibans en Afghanistan, au Mali, elle continue de faire la guerre au Sahel, elle la fait contre Dae’ch en Irak.
La revendication des assassinats par Al-Qaïda dans la péninsule arabique, le 14 janvier, le démontre : si nous répugnons à croire au choc des civilisations, les djihadistes, eux, y croient. Ils prennent au pied de la lettre l’un des commandements du Coran, selon lequel il faut combattre jusqu’à ce que « la religion soit entièrement à Allah » (sourate 8, 39).
Telle n’est certes pas l’ambition des musulmans de France dans leur quasi-totalité. L’islam qu’ils pratiquent est bien plus culturel que doctrinal, et surtout pas guerrier. Mais cet islam souffre toujours de l’absence de distinction entre le spirituel et le temporel. Il se présente encore comme un bloc unifié, offrant un prêt-à-croire et un prêt-à-vivre qui se déclinent avant tout sous forme de pratiques, selon le clivage licite-illicite (halal ou haram). Sur ce point, un gros travail d’acculturation et d’inculturation reste à faire afin que l’islam perde ses aspects d’importation exotique pour devenir, en France, une religion comme les autres.
Reste à aborder une bonne fois certains points fondamentaux. Il est impossible de faire l’impasse sur la crise théologique dont pâtit l’islam depuis la fin du XIe siècle, avec l’élimination des mutazilites, les “rationalistes de l’islam”. C’est le triomphe de la lecture littérale du Coran, fermant la “porte de l’interprétation”. C’est ainsi que les frères Kouachi se sont radicalisés, parce que de bons apôtres les ont persuadés qu’“il y avait des textes” qui permettaient de condamner Charlie Hebdo à mort.
Quand on est littéraliste, en effet, on est immédiatement condamné à faire du Coran une lecture sélective. Pour les uns, on ne retiendra que les versets parlant d’amour, de compassion, de pardon et de paix. Mais pour d’autres, ce seront ceux qui prônent le fer et le feu. Or, ces derniers existent bel et bien ! En voici un : « La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. » (Sourate 5, 33). Quant au blasphème, le Coran n’en parle pas, mais il évoque les insultes : « Oui, ceux qui offensent [ou parlent méchamment, NDLR] Allah et Son messager, Allah les a maudits en ce monde et dans l’au-delà et il leur a préparé un châtiment avilissant. » (Sourate 33, 57.). Sans autre précision sur les peines encourues.
Une vieille affaire, bonne pour des temps révolus ? Certes pas ! Il nous suffit de consulter le site Internet Toutpourlemusulman.fr pour entendre le cheikh Mohamed ibn Saleh répondre ceci à la question du sort à réserver à celui qui insulte Allah et la religion, lors même qu’il ignore qu’il est obligatoire de respecter et vénérer Allah : « Il n’y a personne qui ignore cela, il est permis à personne d’insulter Allah, ainsi que la religion, en tous les cas celui qui insulte Allah est un mécréant, apostat même s’il plaisante, il est obligatoire de le tuer, et cela doit fait [sic] par le gouverneur, et il sera acquitté que par ça. »
Que le blogueur Raif Badawi, condamné par la justice saoudienne à 10 ans de prison et 1 000 coups de fouet en ait reçu 50, en public, comme par hasard le vendredi 9 janvier, devrait achever de nous édifier. Vivre dans un pays comme la France n’est peut-être pas une chance pour nombre de pieux musulmans, cela peut être une chance pour l’islam d’ouvrir le chantier qui s’impose.
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