Discours religieux et violence verbale


Discours religieux et violence verbale.

Dans son livre Dieu, maître de dialogue (Parole et Silence, 2010), Mgr Yohanna Golta, évêque auxiliaire copte, analyse les défis auxquels sont confrontés ceux qui veulent que chrétiens et musulmans vivent ensemble. Il livre en particulier une analyse lucide sur le discours religieux. Un extrait à lire ou relire.

Il faut faire très attention à ce que la religion ne se transforme pas en idéologie car nous la viderions de son essence, de la splendeur des éléments qui la composent et de son message qui est une formation de la conscience, une purification de l’esprit et l’enfantement d’un homme nouveau et d’une société nouvelle. Le moyen pour y parvenir est celui du langage ou du discours religieux. Il ne faut pas  transformer la beauté des mots saints en instrument de haine spirituelle ou en « terrorisme verbal ».

 

Puisque le langage est un instrument de relation entre les hommes, si le discours religieux adopte l’idéologie, il ne transmet pas un message de lumière, d’amour et de pureté, car il cherche à dominer la pensée des hommes par cette idéologie, voire il viole leur conscience par la contrainte et la haine verbale ou bien par le consentement et la résignation ignorante. Hitler n’a pas seulement régné grâce à la police secrète, mais aussi au moyen de son don oratoire et l’éloquence fascinante qu’il exerçait sur l’opinion publique !

Le discours religieux, lorsqu’il se caractérise par la violence verbale, s’exprime en employant une langue populaire très simple et utilise un dogmatisme  irréfutable et inattaquable. Par conséquent, il empêche la manifestation de l’esprit critique de même qu’il tue le ressort du sens de la beauté. Il charge les mots d’émotion et les change en termes de lutte polémique ajoutant à l’exagération dans la partialité ; il emploie des mots fulgurants et adopte des formules de choses obligatoires et de devoirs légaux.

Le discours religieux, lorsqu’il recourt à la violence verbale,  paralyse le raisonnement et conduit au blocage de la communication, il renforce le désordre de la pensée ; les mots deviennent vagues et abondants et ne prouvent pas de manière nette ce qu’est le contenu. C’est une sorte de dictature des mots qui transforme l’histoire en une bataille de mots. C’est une bataille pour la domination de la langue. Et nous savons par les sciences sociales l’interaction entre l’évolution politique et l’évolution linguistique. Il s’ensuit que le discours religieux est employé comme une arme qui coupe le lien, d’une part entre le mot et son véritable contenu, d’autre part entre le mot et la personne qui l’exprime. Dès lors, il transforme la société humaine en des groupes qui ont presque perdu leur lucidité intellectuelle et spirituelle et en fait une société de lutteurs pour la domination. Il  perd son sens religieux véritable étant donné que c’est le fanatisme qui le contrôle et le polarise. Et ces phénomènes psychologiques, sociologiques sont caractéristiques de l’idéologie et de l’émotion naïve incontrôlable. Cette polarisation altère la pensée, les sentiments et les liens dans tous les secteurs de la société. C’est une lutte verbale dont l’objectif est d’imposer un langage spécial et une compréhension spéciale de la religion. Au point que l’idéologie se ferme sur elle-même et à cause de cela augmente la haine et le refus de l’autre. Ce qui est inquiétant, c’est que ce type de discours religieux s’adresse à tous, aux enfants, aux jeunes, aux adultes, aux femmes, de toutes les couches de la société (pages 46-47)

 

Doté d’une vaste culture aussi bien chrétienne et islamique, Mgr Yohanna Golta (78 ans) est auxiliaire du Patriarcat copte catholique d’Alexandrie. Porte-parole de nombreux organismes à la pointe du dialogue islamo-chrétien, au niveau national et international, il a pris part à la rédaction de la nouvelle constitution de la République égyptienne au lendemain de la révolution de la place Tahrir. Diplômé au Caire en littérature arabe et islamique avant d’étudier en France la littérature française, Mgr Golta est connu pour être un ecclésiastique ouvert et modéré. Il est aussi l’auteur de nombreux livres et s’est investi dans l’enseignement. Il croit au dialogue et pas seulement interreligieux. Dans l’exercice de son ministère ecclésial comme sur d’autres fronts, son approche diplomatique manifeste un réel courage.

 

Dieu, maître du dialogue, 216 pages – 25,2 x 23,5 – 17,30 euro – 9782845738799