Rapport Oxfam sur les inégalités.


Retrouvez sans La Croix l'interview d'Olivier Favereau, auteur de : Entreprise : la grande déformation.

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Les inégalités ne connaissent pas la crise. Entretien. Olivier Favereau, professeur d'économie à l'université Paris Ouest et coordonnateur d'un projet de recherche sur le thème « L'entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales » : « Le haut management est aspiré par le monde financier »

L'économiste Olivier Favereau estime que l'accroissement des inégalités qui a repris depuis les années 1980 est une conséquence de la financiarisation des entreprises.

 

Dans son rapport, Oxfam met en avant des données spectaculaires sur la montée des inégalités. Est-ce une surprise pour vous?

Olivier Favereau: Le constat dressé par Oxfam est effrayant, il est indiscutable, mais il n'est malheureusement pas surprenant. Le niveau des inégalités commence à être rendu public à tous les niveaux, par des organismes comme l'OCDE ou le Fonds monétaire international. Oxfam ajoute une pierre de plus, avec des formules particulièrement frappantes.

Le travail mené par Thomas Piketty a montré que la courbe des inégalités résulte d'une évolution en U: on retrouve aujourd'hui le niveau d'inégalité, en termes de revenus et de patrimoines, qui était celui des années 1920. La réaction des grandes démocraties à la crise de 1929 avait réduit tous les ratios d'inégalité, puis ça a commencé à remonter à partir des années 1980.

 

Que s'est-il passé à partir des années 1970 et 1980 pour que les courbes s'inversent?

O. F.: Les explications usuelles – la mondialisation qui soumet les salariés des pays développés à la concurrence de ceux des pays à bas salaire, l'influence du progrès technique ou la fragilisation des syndicats de salariés – ne tiennent pas la route.

En fait, cela vient d'un basculement de très grande ampleur en faveur de la finance. À partir des années 1930, et surtout au cours des Trente Glorieuses, il existait une forme de coopération entre le patronat et les syndicats de salariés. Puis un renversement d'alliance s'est produit à partir des années 1980: le haut management a été aspiré par le monde financier. En clair, les intérêts des managers se sont alignés sur ceux des actionnaires.

 

Comment s'explique cette convergence d'intérêts?

O. F.: La source principale du problème est dans le mode de fonctionnement des entreprises. On considère aujourd'hui les actionnaires comme les propriétaires de l'entreprise. Ils y ont investi une partie de leur argent, donc ils veulent que cette entreprise soit gérée au mieux de leurs intérêts. Les manageurs sont donc à leur service, ils sont leurs employés et agissent en leur nom.

Ce double postulat, de l'actionnaire propriétaire et du patron employé à son service, constitue la base actuelle de fonctionnement de toutes les grandes entreprises. D'où l'idée d'aligner les intérêts de « l'agent » sur ceux de son commanditaire, par l'intermédiaire de stock-options et autres attributions d'actions. C'est ce que nous appelons « la grande déformation » en faveur de la finance.

 

Selon vous, les actionnaires ne sont pas les vrais propriétaires?

O. F.: Non, le travail que nous avons mené avec le Collège des Bernardins montre que sur le plan juridique, les actionnaires ne peuvent pas être propriétaires d'une entreprise. Une société est une collectivité humaine et une personne morale. Or on ne peut pas être propriétaire ni d'une personne physique, sinon c'est de l'esclavage, ni d'une personne morale, qu'il s'agisse d'un État ou d'une entreprise.

En outre, dans un marché liquide comme la Bourse, l'actionnaire n'assume pas tous les risques, puisqu'il peut vendre ses titres quand il le souhaite et que sa responsabilité est limitée au seul montant de son apport. Un propriétaire à responsabilité limitée doit donc n'avoir que des prérogatives limitées.

 

Comment sortir de ce système?

O. F.: Inverser la tendance va être très difficile. Nous sommes face à une puissance colossale, celle de l'argent. D'ailleurs, l'expérience montre que la finance est très difficile, voire impossible, à réguler, compte tenu de la puissance du lobby bancaire. François Hollande, qui s'est fait élire en disant que la finance est son ennemi, a reculé.

 

Il n'y a donc aucune lueur d'espoir?

O. F.: Ça progresse sur le plan des idées puisque le niveau d'inégalité est maintenant connu. Il faut continuer cette bataille. Puisque c'est de là que tout est parti, il faut aussi faire évoluer le système de gouvernance des entreprises, en le rééquilibrant en faveur des salariés, en faisant entrer leurs représentants dans les conseils de surveillance ou les conseils d'administration.

Il faut que les États-nations fassent preuve de volonté politique, qu'ils se décident à utiliser les pouvoirs dont ils disposent. C'est ce qui se passe avec la reprise en main des paradis fiscaux.

HUSSON Séverin / La Croix – 19 janvier 2015


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