Affaire Lambert


Retrouvez l'entretien du père de Malherbe avec Anne-Laure Debaecker pour Figarovox.

FIGAROVOX/ENTRETIEN - La CEDH vient de valider la décision du Conseil d'État de cesser l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert. Spécialiste des questions bioéthiques, le père Brice de Malherbe dénonce une erreur de jugement sur la portée de cet arrêt des soins.

Docteur en théologie, le père Brice de Malherbe est spécialiste des questions de bioéthique. Consulteur au Conseil Pontifical pour la Famille et codireteur du département «éthique médicale» du Collège des Bernardins à Paris. Il a été délégué de l'archevêque de Paris auprès des établissements hospitaliers catholique de 2005 à 2013. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages dont Fcoécrit avec Dominique Folscheid et paru en 2014 aux éditions Parole et silence.

La Cour Européenne des droits de l'Homme a validé aujourd'hui la décision du Conseil d'État de l'arrêt des soins prodigués à Vincent Lambert. Que vous inspire ce verdict?

Une situation familiale assez dramatique entoure cette affaire. Celle-ci soulève deux questions. L'une d'ordre juridique, l'autre d'ordre médical.

La Cour dit, d'une part, que le Conseil d'État a fait son travail sérieusement et, d'autre part, que la décision d'arrêter l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert a été prise d'une manière telle qu'elle n'atteint pas le droit de toute personne à la vie. Il ne s'agirait donc pas d'une mort donnée intentionnellement.

Le débat -qui a été interne à la cour- s'est manifestement concentré autour de savoir si l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation des personnes en état végétatif relève de la mort donnée volontairement ou de l'abstention thérapeutique. La Cour s'est donc prononcée en faveur de cette dernière. Je pense qu'il s'agit, hélas, plutôt d'une mort donnée volontairement.

C'est un sujet complexe, la Cour l'a rappelé. L'Église catholique s'est penchée sur le dossier général de l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation des patients en état végétatif chronique il y a quelques années, indépendamment de l'affaire Lambert. Elle en est arrivée à la conclusion que, d'une manière habituelle, l'hydratation et l'alimentation était à maintenir pour de tels patients. Ceci rejoint notamment la position de l'association professionnelle France Traumatisme Crânien qui s'est prononcée dans ce sens. Le Conseil d'État y avait d'ailleurs fait allusion. Cette association rappelle que les patients en état pauci-relationnel ou en état végétatif chronique ne sont pas en fin de vie et que l'alimentation et l'hydratation font partie des soins de base qui leur sont dus.


Les parents de Vincent Lambert ont indiqué qu'ils estimaient que la décision prise par le Conseil d'État et validée par la CEDH relevait d'une «euthanasie déguisée». Ce terme vous paraît abusif ou plutôt exact?

Les parents de ce patient sont intimement impliqués et réagissent en tant que tel. C'est objectivement une euthanasie même si l'intention du docteur Kariger et de son équipe n'était certainement pas celle-là. Le personnel médical et les juges ont l'impression que l'on ne se trouve pas dans le cas d'une euthanasie mais, comme la cour elle-même l'a dit, l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation devrait entrainer rapidement le décès de Vincent Lambert. Il s'agit donc d'une décision volontaire de provoquer la mort. On ne peut toutefois pas parler d' «euthanasie déguisée» dans la mesure où je ne pense pas qu'il y ait la volonté de dissimuler quoi que ce soit. Il y a simplement, à mon avis, une erreur de jugement sur la portée de cet arrêt de l'alimentation et de l'hydratation.

Certains rétorquent, en effet, que leur maintien relèverait plutôt, dans cette situation, de l'acharnement thérapeutique…

Pour statuer, la Cour s'est appuyée sur la loi Leonetti en estimant qu'elle était suffisamment claire pour permettre aux médecins de répondre à cette situation difficile. Je pense, au contraire, que cette loi -qui par ailleurs est très bonne- possède une faille. D'une part en considérant de façon abusive que l'alimentation et l'hydratation relèvent d'un traitement par l'exposé des motifs, et d'autre part en ne distinguant pas assez les situations des malades qui sont en fin de vie et celles de ceux qui ne le sont pas. Ce flou juridique amène à des arrêts abusifs de l'alimentation et de l'hydratation.

Après cette escalade juridique qui n'est jamais souhaitable, il faut redonner la parole aux médecins. Il appartient aux différentes sociétés savantes de pouvoir travailler sur des bonnes pratiques concernant le soin des patients en état pauci-relationnel et en état végétatif chronique. La position de l'association France Traumatisme Crânien serait ainsi à prendre en compte.

La situation de Vincent Lambert est très complexe et divise à la fois la communauté juridique et médicale. Il ne faut pas tirer de conclusions générales de ce cas et il faut accepter que lorsque l'on se trouve dans une situation où il n'y a plus que des soins à prodiguer, cela constitue toujours un élément de la mission médicale. Cette décision de la CEDH ne doit pas remettre en cause la valeur des soins palliatifs et des soins de base prodigués à des personnes très vulnérables.


http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/06/05/31003-20150605ARTFIG00360-affaire-vincent-lambert-une-decision-volontaire-de-provoquer-la-mort.php